C'est ce que réclament les milliers d'Indiennes qui ont manifesté contre les atteintes généralisées aux droits des femmes. Pas sûr pour autant qu'elles soient entendues.
Cinq de ses six bourreaux présumés ont été inculpés jeudi 3 janvier. Le procès va pouvoir commencer. Ce sera le procès du viol ignominieux d'une étudiante de 23 ans, sauvagement agressée par une bande de brutes dans un bus le 16 décembre, dans la capitale indienne New Delhi, et morte des suites de ses blessures samedi dernier. Mais ce procès sera-t-il également celui d'une société dont le vernis de grande puissance économique et démocratique craque sous la pression de ses millions de pauvres (un Indien sur trois vit sous le seuil de pauvreté), ses inégalités, son conservatisme patriarcal très enraciné qui fait bien peu de cas du statut de la femme et sa corruption généralisée ?
24.000 plaintes pour viols
C'est ce que réclament les milliers d'Indiens, et surtout d'Indiennes, qui, horrifiés par le viol de cette étudiante, sont descendus dans la rue ces dernières semaines pour protester contre les violences commises quotidiennement sur les femmes en toute impunité. C'est ce que demandent aussi les Nations unies. "Il s'agit d'un problème national qui touche des femmes de toutes les classes et castes, et qui requiert des solutions nationales", a dénoncé la Haute Commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme, Navi Pillay.
Plus de 24.000 plaintes pour viol ont été enregistrées en 2011, mais seulement un quart d'entre elles ont débouché sur des condamnations, selon le Bureau national de la criminalité. Et il ne s'agit là que des cas connus. Combien de victimes se taisent sous la pression de leurs bourreaux, de leur propre famille qui préfère souvent étouffer l'affaire de peur d'y laisser son honneur, et d'autorités indifférentes, arrogantes, voire complices ?
Il aura fallu une semaine d'émeutes pour que le Premier ministre, Manmohan Singh, sorte enfin de son silence pour promettre de réviser une législation qui protège bien mal les femmes. Entre-temps, le chef de la police de New Delhi avait balayé cyniquement la polémique d'un revers de la main, en faisant valoir que les hommes aussi étaient en danger dans la capitale, en raison des pickpockets qui y sévissent... Une déclaration qui en dit long sur un machisme indien plus qu'endurci.
Des lois sans effet
L'Inde, qui a pourtant porté Indira Gandhi à la tête du gouvernement dès les années 60, et qui a confié à Sonia Gandhi, sa belle-fille les commandes du parti au pouvoir, le parti du Congrès, ne voit pas un jour passer sans le viol d'une jeune fille, le mariage d'une mineure, un nouveau cas d'esclavage domestique, le meurtre d'une épouse pour dot insuffisante. Pour ne prendre que ce dernier crime, la coutume de la dot est pourtant censée avoir été abolie depuis les années 60 ! A l'évidence, les traditions sont coriaces et se jouent des lois.
Difficile alors d'imaginer qu'une nouvelle loi, réprimant plus sévèrement les agressions sexuelles, comme l'a proposé mercredi le ministre Shashi Tharoor (ex-diplomate onusien et célèbre écrivain), en suggérant qu'elle porte le nom de l'étudiante, suffira à régler le problème.
D'autant que la justice indienne est totalement débordée. Il y aurait 32 millions d'affaires en attente, selon le quotidien britannique "The Times". Selon ses calculs, il faudrait 320 années ne serait-ce que pour solder ce retard.
Vagues de colère
Et puis, d'autres lois sont à revoir. Parmi elles, une pétition réclamant la suspension des députés poursuivis pour violences sexuelles doit être déposée devant la Cour suprême. Selon une association indienne, l'Association for Democratic Reforms, quelque 260 politiciens poursuivis pour agressions sexuelles ont malgré tout été autorisés à se porter candidats à des élections ces cinq dernières années.
Ce viol, ces manifestations de colère et ce procès annoncent-ils un bouleversement social ? L'an dernier déjà, des protestations monstres contre la corruption avaient ébranlé le pouvoir au point de faire croire à une révolution en marche. Un an plus tard, le soufflé est retombé : la loi réclamée à cor-et-à-cri n'a toujours pas été adoptée et les scandales de corruption continuent de défrayer la chronique. Mais ces déferlantes successives de colère témoignent du piètre état de santé de la plus grande démocratie du monde.